Le manchy
Sous un nuage frais de claire mousseline, | ||
Tous les dimanches au matin, | ||
Tu venais à la ville en manchy de rotin, | ||
Par les rampes de la colline. | ||
La cloche de l'église alertement tintait ; | ||
Le vent de mer berçait les cannes ; | ||
Comme une grêle d'or, aux pointes de savanes, | ||
Le feu du soleil crépitait. | ||
Le bracelet aux poings, l'anneau sur la cheville | ||
Et le mouchoir jaune en chignons, | ||
Deux Telingas portaient, assidus compagnons, | ||
Ton lit aux nattes manille. | ||
Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant, | ||
Souples dans leurs tuniques blanches, | ||
Le bambou sur l'épaule et les mains sur les hanches, | ||
Ils allaient le long de l'étang. | ||
Le long de la chaussée et des varangues basses | ||
Où les vieux créoles fumaient, | ||
Par les groupes joyeux des noirs, ils s'animaient | ||
Aux bruits des bobres madécasses. | ||
Dans l'air léger flottait l'odeur des tamarins ; | ||
Sur les houles illuminées | ||
Au large, les oiseaux, en d'immenses traînées, | ||
Plongeaient dans les brouillards marins. | ||
Et tandis que ton pied, sorti de la babouche, | ||
Pendait, rose, au bord du manchy, | ||
A l'ombre des Bois-Noirs touffus et du Letchi | ||
Aux fruits moins pourprés que ta bouche ; | ||
Tandis qu'un papillon, les deux ailes en fleur, | ||
Teinté d'azur et d'écarlate, | ||
Se posait par instants sur ta peau délicate | ||
En y laissant de sa couleur ; | ||
On voyait, au travers du rideau de batiste | ||
Tes boucles dorer l'oreiller, | ||
Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller, | ||
Tes beaux yeux de sombre améthyste. | ||
Tu t'en venais ainsi, par ces matins si douc, | ||
De la montagne à la grand'messe, | ||
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse, | ||
Au pas rythmé de tes hindous. | ||
Maintenant, dans le sable aride de nos grèves, | ||
Sous les chiendents, au bruit des mers, | ||
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers, | ||
O charme de mes premiers rêves ! | ||
LECONTE DE LISLE. |